INTRODUCTION

Le choix de cette thèse finalisant mon cursus d’études en Diététique et nutrition, émane de diverses expériences personnelles et professionnelles observées : en effet, le temps de la grossesse et les femmes enceintes font l’objet de nombreuses informations, prises en charge diététiques, de conseils et recommandations, de questionnements et débats animés.

Blogs, magazines féminins ou de santé, ou encore émissions télévisées qui traitent de ce sujet foisonnent.

L’alimentation et la prise de poids sont au cœur de la plupart des discussions, les futures mamans doivent ainsi faire attention à leur hygiène de vie avant, pendant et après leur grossesse. Pourquoi ? Pour leur santé et celle du bébé bien-entendu ! Mais les papas dans tout ça ? Suggestions et préconisations se font beaucoup plus rares…

La santé et l’hygiène de vie des futurs pères n’ont-t-elles aucun impact sur le bébé? Et la grossesse n’influence-elle en rien leur état nutritionnel ou leurs habitudes alimentaires? Autant de questions qui m’ont poussé à m’interroger sur ce sujet.

828 000(1) femmes sont enceintes chaque année, et c’est autant de futurs papas laissés pour compte…

Cette thèse a pour objectif de démontrer l’intérêt de la prise en charge diététique des futurs pères.

Grossesse et état nutritionnel des futurs pères : quels sont les liens et les enjeux ?

Afin de tenter de répondre à cette question, la réflexion s’oriente vers 2 axes, tout d’abord l’impact de l’état nutritionnel du futur père lors de la préconception, puis l’influence que peut avoir la grossesse sur l’hygiène de vie du père.

L’IMPORTANCE DE L’ETAT NUTRITIONNEL DES FUTURS PÈRES LORS DE LA PRÉCONCEPTION

L’analyse des données bibliographiques(2,3,4,5) a permis d’identifier certains liens entre  : état nutritionnel et fertilité, alimentation et fertilité, hygiène alimentaire et transmission génétique.

Obésité et fertilité masculine

Rappels

 Obésité

L’obésité est un syndrome d’étiologie multifactorielle, pouvant survenir à tout âge, caractérisé par un excès d’au moins 20% de masse grasse, engendrant un surpoids important. Un sujet est dit obèse si son IMC est supérieur ou égal à 30kg/m².

L’obésité est une maladie chronique, ayant de nombreuses complications : métaboliques (diabète de type 2), cardiovasculaires (HTA), endocriniennes (hypogonadisme), digestives, cutanées, mécaniques et psychologiques.

 Fertilité

La fertilité est la capacité à procréer. Trois paramètres sont nécessaires à une fertilité masculine normale :

  • une production normale des spermatozoïdes par les testicules (spermatogénèse), en qualité comme en quantité.
  • une bonne circulation des spermatozoïdes au sein des organes génitaux masculins.
  • une érection et une éjaculation adéquates. 

 L’obésité paraît être à l’origine de plusieurs processus entraînant une hypofertilité masculine.

  • Un hypogonadisme central

Caractérisé par un défaut de l’appareil reproducteur, il résulte d’une sécrétion insuffisante des gonadotrophines hypophysaires LH et FSH retentissant sur la fonction gonadique. C’est l’excès de masse grasse qui retentirait sur l’axe gonadotrope par plusieurs biais :

– Altération du fonctionnement gonadique par insulinorésistance : l’accumulation de masse grasse, notamment au niveau abdominal, provoque des modifications du métabolisme des acides gras qui favorisent l’insulinorésistance. Celle-ci entraîne un hyperinsulinisme qui inhibe la sécrétion de SHBG (protéine de transport des 2/3 de la testostérone) provoquant alors la baisse du taux de testostérone.

– Exacerbation du rétrocontrôle négatif sur l’axe gonadotrope : l’excès de tissus adipeux augmente l’activité de l’aromatase (enzyme adipocytaire) qui métabolise une partie de la testostérone circulante en œstradiol. Ces derniers sont connus pour diminuer la production de GnRH et inhiber les sécrétions gonatrophines.

 

  • Des troubles de l’érection courants chez les hommes obèses
Des raisons psychologiques

 • Inhibition de la libido par des complexes physiques

• Diminution des capacités physiques entraînant de moins bonnes

performances sexuelles

Des causes physiologiques

 • Baisse de la testostéronémie qui engendrerait une baisse du désir sexuel

• Dysfonctionnement érectile d’origine vasculaire

 

  • Une altération de la spermatogenèse

La sédentarité et l’accumulation de graisse augmentent la chaleur au niveau testiculaire ce qui entrave la production de spermatozoïdes. De plus, du fait de sa vascularisation et de sa composition, le tissu adipeux est un véritable réservoir de substances toxiques (liposolubles) et perturbateurs endocriniens. Ces derniers dégradent aussi la spermatogenèse par :

– le blocage des récepteurs d’hormones, empêchant ainsi l’action de ces dernières

– la modification des concentrations en hormones de l’organisme.

 

Vitamines, micronutriments et fertilité masculine

 Il semblerait que certaines carences vitaminiques et en micronutriments puissent altérer la fertilité chez l’homme.

Substance Sources majeures Rôles
Vitamine C Fruits et légumes colorés crus Antioxydants : protection des spermatozoïdes contre les radicaux libres
Vitamine E Huiles végétales
Folates Abats, Légumineuses et légumes à feuilles vert foncé Essentiels à la formation de l’ADN : impact sur la spermatogenèse
Vitamine D Poissons gras, œufs, lait de vache Gère l’utilisation du calcium par le corps. Calcium nécessaire à la production des spermatozoïdes et à leur mobilité

Micronutriments

  • Zinc
  • Sélénium
  • Magnésium
  • Carnitine

 

  • Zinc : huître, foie de veau, viande rouge 
  • Sélénium : noix, huître, abats, bœuf
  • Magnésium : légumineuses, oléagineux
  • Carnitine : viandes rouges

Facteurs influençant le nombre et la mobilité des spermatozoïdes

Le zinc est également un antioxydant.

 

Hygiène alimentaire et transmission génétique

De récentes études (2,3) tendent à démontrer que l’alimentation du père lors de la préconception ainsi que son état nutritionnel sont susceptibles d’être transmis génétiquement à leur descendance, et ce, sur plusieurs générations.

Prenons deux exemples qui illustrent ces études : 

  • Impact d’une alimentation paternelle pauvre en folates: les résultats montrent une augmentation de 30% des malformations congénitales sur la descendance ! A l’origine de ces malformations, l’altération de l’information génétique par la carence en vitamine B9 qui influencerait alors le développement de l’embryon.
  • Retentissement de l’obésité sur l’ADN: l’état d’obésité modifierait notre ADN, rendant alors le sperme vecteur d’un matériel génétique prédisposant à cette pathologie.

Heureusement, il est aussi démontré que les modifications génétiques provoquées par l’obésité et les habitudes alimentaires des hommes (comme des femmes) ne sont pas irréversibles. Ainsi un retour à une alimentation saine et à un poids souhaitable provoque de nouveaux changements génétiques, cette fois, positifs.

Conclusion du premier axe de réflexion  

Les recherches sont encore à approfondir et de vastes études épidémiologiques sont à envisager, mais tout converge vers l’idée que le matériel génétique est à la fois victime et vecteur de l’état nutritionnel et des habitudes alimentaires des futurs pères. Maintenant que nous avons quelques « clefs pour apporter à Bébé un ADN optimisé », voyons ce que la grossesse réserve aux futurs papas… 

IMPACT DE LA GROSSESSE L’ALIMENTATION ET LA SANTE DES FUTURS PERES

 Le deuxième axe de cette réflexion s’est appuyé sur une enquête réalisée auprès d’une quarantaine de pères.

L’analyse des données collectées suite à l’enquête ont mis en évidence deux axes principaux de réflexion : le stress et le changement d’habitudes de vie pouvant induire une prise de poids. Un point succinct abordera le syndrome de la « couvade ».

Grossesse et futurs papas, un problème de poids

Les pères sont de plus en plus impliqués dans la grossesse de leur femme, ils se sentent investis d’une mission : faire que tout se passe au mieux ! Santé du bébé, bien-être de la maman, préparatifs pour l’arrivée du nourrisson, choix de la « bonne » maternité pour l’accouchement, autant de sujets qui augmentent l’inquiétude et le stress de nos futur papas…

  • 95 % des pères ayant répondu à mon questionnaire reconnaissent avoir été stressés par la grossesse de leur femme,
  • 65 % d’entre eux ont pris du poids,
  • 59 % ont eu l’impression de manger moins sainement,
  • et 45% ont jugé que leur niveau d’activité physique avait baissé.

Rappels

Stress 

Agression de l’organisme par un agent physique, psychique ou émotionnel entraînant un déséquilibre qui doit être compensé par un travail d’adaptation.

Comportement alimentaire

Ensemble des conduites d’un individu vis-à-vis de la consommation d’aliments. La principale fonction physiologique de ce comportement est d’assurer l’apport des substrats énergétiques et des composés biochimiques nécessaires à l’ensemble des cellules de l’organisme. Il est actuellement admis que les principaux centres de contrôle du comportement alimentaire se trouvent au niveau de l’hypothalamus.

Peut-on établir un lien entre leur état émotionnel et leur hygiène de vie ?

Les effets du stress sur le comportement alimentaire sont variés et individuels, celui-ci peut aussi bien provoquer une anorexie qu’une augmentation des apports alimentaires, comme n’avoir aucun impact chez certaines personnes. La plupart du temps, on constate une diminution de la consommation d’aliments standards, et parallèlement une augmentation de la prise d’aliments palatables (gras ou sucrés). Les apports énergétiques quotidiens augmentent et provoquent le risque d’une prise de poids.

Les résultats de l’enquête montrent que  plus de la moitié des hommes ayant été stressés ont aussi changé leurs habitudes alimentaires en quantité et en qualité, mais le stress n’en est pas l’unique raison.

Encore très couramment en 2016, ce sont les femmes qui cuisinent, prévoient les repas et font les courses, or la grossesse est source de nombreux maux. Nausées, dégoûts, fatigue, douleurs, pulsions alimentaires sont fréquents et modifient les habitudes alimentaires de la future maman, mais aussi celle du papa en devenir ! Bien qu’une majorité de femmes fassent attention à ce qu’elles mangent pendant la grossesse, on constate des prises alimentaires plus anarchiques et souvent moins bien équilibrées. Tout cela se répercute alors chez les hommes : par manque de temps, d’envie et/ou de savoir-faire, l’utilisation de plats préparés, fast-food et grignotages sont alors plus fréquents dans leur mode alimentaire.

A cela s’ajoute une baisse de l’activité physique chez 45% des pères ayant pris du poids. Celle-ci peut s’expliquer par plusieurs points :

  • de la fatigue chez la future maman, limitant ainsi les activités faites en couple auparavant (promenade, vélo, course à pied)
  • un manque de temps dû aux divers préparatifs en vue de la naissance à venir et à la gestion de davantage de tâches quotidiennes pour soulager sa compagne,
  • un état de fatigue dû au stress et à un quotidien plus lourd à gérer.

Un point succinct sur la « couvade »

Le syndrome de la couvade, également appelée « grossesse nerveuse de l’homme », est un état symptomatique, repéré chez le père et qui toucherait 10 à 30 % d’entre eux.

Nausées matinales, irritabilité, prise de poids, envies alimentaires, ventre qui s’arrondit, mais aussi parfois dépression postpartum, touchent alors certains futurs papas et altèrent leur bien-être psychologique. On ne connaît pas encore bien les mécanismes d’apparition de ce syndrome, mais le sentiment d’exclusion de la grossesse et le désir profond de porter la vie pourraient être des facteurs psychologiques favorisant l’apparition de l’état de couvade.

En   général, tout rentre dans l’ordre dès la naissance de l’enfant, à l’exception des kilos en trop !

Conclusion du deuxième axe de cette réflexion

Tout comme pour les femmes, la grossesse est un bouleversement dans la vie d’un homme. De plus en plus investis, nombreux sont ceux qui voient leur stress augmenter, leur hygiène de vie se dégrader, et leur poids s’envoler. Ce constat n’est pas à négliger car il aura des répercussions sur la santé du père mais aussi sur celle de sa descendance.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Au vu des conclusions sur les deux axes de cette réflexion personnelle, on peut désormais affirmer qu’entre grossesse et futurs pères les liens et enjeux sont multiples.

Que ce soit en préconception, pour améliorer leur fertilité et optimiser le capital génétique de leur enfant, ou tout au long de la grossesse pour éviter la dégradation de leur hygiène de vie et une possible prise de poids, la prise en charge diététique des futurs pères paraît doublement importante.

Elle concernerait, en effet, à la fois la santé des futurs pères mais aussi celle de leur descendance, car au-delà de l’aspect génétique, de mauvaises habitudes alimentaires acquises pendant la grossesse par les parents sont susceptibles de devenir aussi celles des futurs enfants.

Les femmes enceintes sont, aujourd’hui, suivies par toute une équipe médicale et paramédicale, les informations nutritionnelles essentielles sont très largement communiquées et les prises en charges diététiques conseillées.

En ce qui concerne les futurs pères, des actions sont menées et leur investissement remarqué (à noter que 89% des pères sondés sont désireux d’informations nutritionnelles les concernant pendant cette période).

L’INPES(6) encourage ainsi leur intégration au cœur du parcours médical de leur compagne tout au long de la grossesse, et c’est dans cette lignée que s’inscrirait leur prise en charge diététique.

Les futurs parents sont une population qu’il est primordial de prendre en charge car ils seront les modèles et les « vecteurs génétiques » des générations à venir. La grossesse peut être une source de motivation et de déclics pour commencer une nouvelle vie plus saine dans l’intérêt de toute une famille. C’est un axe professionnel qu’il est souhaitable de développer. FIN.

A propos de cette thèse :  

Récompense : Prix Anne-Marie Dartois en 2016 lors des Journées d’études de Lille par l’AFDN (Association Française des Diététiciens Nutritionnistes).

Publication : Revue de Santé, Information Diététique.

Bibliographie :

  • Natalité, fécondité [en ligne] Disponible sur :< http://www.insee.fr/> (Consulté le 14/08/2015)
  • Lambrot, C. Xu, S. Saint-Phar, G. Chountalos, T. Cohen, M. Paquet, M. Suderman, M. Hallett & S. Kimmins. Low paternal dietary folate alters the mouse sperm epigenome and is associated with negative pregnancy outcomes. Nature Communications[en ligne], 2013, n°4, Article 2889 (Consulté le 10/01/2016)
  • Archive pédiatrie. Importance du père en péri-conception [en ligne] Disponible sur : <https://www.sfpediatrie.com/> (Consulté le 10/01/2016)
  • Fertilité : quel est l’impact de l’obésité ?. Nutritioninfos Avril-Mai 2015, n°43, p18
  • Julie Sarfati, Hélène Bry, Jacques Young, Sophie Christin-Maitre. Obésité-Fertilité-Grossesse. Médecine Clinique endocrinologie & diabète, Juillet-Août 2012, n° 59
  • Fiche d’action n°20-Le vécu de la grossesse par les hommes[en ligne]. (Mai 2010) Disponible sur :< http://inpes.santepubliquefrance.fr//> (Consulté le 14/12/2015)
Claire Nepoux

Diététicienne Nutritionniste Comportementaliste à Antibes

Passionnée par mon métier, je continue de me former pour toujours pouvoir proposer à mes patients ce qui se fait de mieux en la matière. J’allie aujourd’hui des connaissances approfondies en nutrition, psycho-comportementalisme, naturopathie et soins minceurs.